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Nova vprašanja o Steckovi Anapurni

Le Monde - Patricia Jolly ... (fr.)

Alpinisme: Ueli Steck, Piolet d'or et de discorde
Le Monde.fr | 27.03.2014
Par Patricia Jolly

La nouvelle aurait dû réjouir Ueli Steck. Sa « première » en solo d'octobre 2013 sur la face sud de l'Annapurna (8 091 mètres), réalisée dans le temps record de vingt-huit heures, fait partie des cinq ascensions nominées pour les 22es Piolets d'or, organisés entre Chamonix et Courmayeur (Italie) du 26 au 29 mars. Cette grand-messe de la montagne, que ses organisateurs présentent comme les « Oscars » de la grimpe, célèbre « le goût de l'aventure, l'audace, le sens de l'exploration », exalte « la beauté d'un geste individuel ou collectif », et promeut « l'imagination dans la recherche d'itinéraires innovants, sans artifice ».
Des critères a priori honorés par l'alpiniste suisse de 38 ans, déjà récompensé en 2009 avec son compatriote Simon Anthamatten pour leur première de la face nord du Tengkampoche (6 500 mètres), au Népal ; et nominé, en 2005, pour une trilogie en solo au Népal au Cholatse (6 440 mètres), Tawoche (6 505 mètres) et Ama Dablam (6 828 mètres) au Népal. Las, dès la fin de sa campagne d'automne 2013 dans l'Himalaya, de méchantes rumeurs ont semé le doute sur la véracité de sa performance effectuée sur une voie entamée en 1992 par les Français Pierre Béghin (mort dans une chute durant la descente), et Jean-Christophe Lafaille (miraculé après cinq jours d'errance avec un bras cassé, avant de disparaître sur les flancs du Makalu — 8 463 m — en 2006).

Les critiques ne sont pas nouvelles à propos d'Ueli Steck, qui s'attaque aux sommets comme à une discipline olympique chronométrée, et s'entraîne comme un coureur de fond. Ancien charpentier, il n'a jamais aspiré à devenir guide de haute montagne. Il voulait « juste faire du sport ». Et il en vit par l'entremise d'une bonne dizaine de partenaires ; ce qui n'est le cas que de quelques dizaines d'alpinistes au monde. Pêle-mêle, ses détracteurs lui reprochent plus ou moins ouvertement l'absence de témoins oculaires, des pannes d'appareil photo et d'altimètre, voire l'oubli de brancher son GPS, lors de ses tentatives solitaires ou des records de vitesse dont il s'est fait une spécialité (face nord du Cervin, Eiger, Grandes Jorasses…) Christian Trommsdorff, himalayiste, vice-président du Syndicat national des guides de montagne (SNGM), membre du comité de pilotage du comité technique et de pilotage des Piolets d'or et président du Groupe de haute montagne — coorganisateur de l'événement —, a ainsi reçu plusieurs courriels listant les « incohérences » de l'exploit d'Ueli Steck.

Ces correspondances émanent essentiellement de journalistes, de guides de montagne et d'alpinistes allemands. « Les interrogations sont logiques, car Ueli Steck est un alpiniste professionnel et, même s'il n'y a pas d'argent en jeu aux Piolets d'or, le remporter peut engendrer des retombées commerciales et médiatiques », explique M. Trommsdorff, qui a rencontré le Suisse fin février pendant deux heures. « Il m'a immédiatement dit qu'il n'avait pas de preuve substantielle de son ascension, et que chacun était libre de le croire ou pas », poursuit-il. La charte éthique des Piolets d'or ne mentionne pour l'heure nullement la nécessité d'apporter des preuves des ascensions revendiquées.

« Ce qui arrive est peut-être un peu ma faute, admet cependant Ueli Steck. Je n'aime pas me vanter, car grimper sur des montagnes n'apporte rien à l'humanité. Alors, j'ai toujours fait ce qui me semblait juste : je donne des détails sur mes ascensions à qui m'en demande, et personne jusqu'ici ne m'avait reproché de manière aussi virulente de ne pas fournir de preuves. Non, je n'ai pas de photo du sommet de l'Annapurna car j'ai perdu mon appareil et un gant dans une petite avalanche dans laquelle j'ai pensé pour la première fois que j'allais mourir. Ça ne s'est pas produit et j'ai continué à monter sur l'adrénaline. »

Le sommet de l'Annapurna dans l'Himalaya. Photo prise le 16 mai 2002 de l'alpiniste français Jean-Christophe Lafaille lors de son ascension.
Début mars, à Katmandou, une partie du staff népalais de l'expédition de Steck a corroboré sa version. Ngima Dawa, un aide-cuisinier qui travaillait pour la première fois avec l'alpiniste suisse, a été joint dans son village du Solu Khumbu par téléphone. Laurence Shakya, basée dans la capitale népalaise depuis trente ans et diplômée de l'Institut national des langues et civilisations orientales de Paris (Inalco), traduit les propos qu'il exprime en népali. « Nous n'avions pas de contact radio avec lui, mais du camp de base, avec le recul, dès la nuit tombée, je pouvais voir sa progression grâce à sa lampe frontale. Vers 23 h 30, quand je me suis couché, il était juste en dessous du sommet [que M. Steck affirme avoir atteint une heure et demie plus tard] mais je ne peux estimer exactement à quelle altitude. Je me suis relevé à 2 heures du matin et j'ai compris qu'il descendait en voyant la lumière avancer vers le bas. Je me suis recouché puis réveillé à nouveau à 5 heures du matin. Ueli avait beaucoup progressé dans la descente et je ne l'ai pas quitté des yeux jusqu'à 8 heures du matin, puis j'ai préparé à manger. »

Tenji Sherpa, responsable du camp de base de l'expédition et qui travaillait avec M. Steck pour la deuxième fois, fournit d'autres détails. « Ueli ne devait pas faire l'ascension seul, mais son compagnon [le Canadien Don Griffith] a d'abord été malade, puis les chutes de pierres et les dangers d'avalanche l'ont mis mal à l'aise et il a renoncé. Ueli a décidé de partir quand même. Il a dit : “Je vais voir.” Du camp de base avancé qui est plus proche de la paroi que le camp de base, on ne le voyait pas en permanence. Vers 18 heures, il a disparu pendant environ une heure : c'est le moment où il s'est abrité dans un trou avant de repartir. On voyait alors sa lampe frontale. Je l'ai vu à minuit au-dessus à environ 200 mètres au-dessous du sommet. Don et moi, on s'est couchés jusque vers 4 heures où on l'a vu dans la descente. Nous sommes allés au-devant de lui. Son visage était très rouge, ses traits tirés, il était comme desséché, mais heureux et très excité. Je lui ai donné un Coca, du chocolat et un snack léger. »

DES PREUVES

Des sherpas couvriraient-ils une star de l'alpinisme qui les rémunère sur un marché saturé ? « C'est l'agence qui nous emploie qui nous paie, pas les étrangers pour lesquels nous faisons du portage », rétorque Tenji Sherpa, vexé. Pourquoi le staff de l'expédition n'a-t-il pas tenté d'éteindre la polémique ? « Nous ne savions même pas qu'il y en avait une, et personne ne nous a posé de questions », affirme Tenji. « Ueli Steck est le premier athlète de ce genre que je rencontre en montagne, poursuit le jeune porteur de haute altitude. Lors de notre première expédition ensemble, pendant la marche d'approche vers le camp de base de l'Everest (8 848 mètres), il avait fait Namche-Thame en une heure et était redescendu en courant pour se dégourdir les jambes et tester sa vitesse ! » Une étape à plus de 3 000 mètres que les trekkeurs ordinaires parcourent en quatre ou cinq heures…

Les informations données par le staff népalais sont en adéquation avec la présentation des faits livrée par Ueli Steck à la journaliste américaine Elizabeth Hawley, arbitre non officiel des ascensions dans l'Himalaya népalais. Le Monde a pu consulter le rapport compilé par cette nonagénaire installée à Katmandou. Elle tient scrupuleusement une base de données qui fait référence dans le milieu montagne et répertorie toutes les expéditions depuis 1963. La vieille dame traque impitoyablement la moindre incohérence dans un récit d'ascension et/ou dans une description topographique et a sommé plus d'une star de l'alpinisme de retourner « faire le somme » qu'elle revendiquait lorsqu'elle avait le moindre doute.

La cordée de guides français Stéphane Benoist et Yannick Graziani, elle aussi victorieuse en octobre 2013 de cette voie Béghin-Lafaille — avec des variantes — une dizaine de jours après Steck, se fait également l'avocate du Suisse. Ce dernier leur a adressé un SMS le jour suivant sa présumée conquête : « G fait le sommet en solo cette nuit ». MM. Benoist et Graziani comprennent mal ceux qui s'étonnent que les deux Français n'aient pas retrouvé de « traces » du passage d'Ueli au-delà de 7 500 mètres lorsqu'ils ont « réalisé » le sommet à sa suite. Entre-temps, il était tombé un cumul d'environ 60 centimètres de neige… « Trouver une broche d'un centimètre et demi ou la marque du coup de piolet de quelqu'un d'autre sur une voie, même dans les Alpes, c'est déjà rare, note Yannick Graziani. Alors en Himalaya, c'est impossible. Je crois fermement qu'Ueli a fait le sommet. Il faut simplement qu'il comprenne qu'ayant choisi le créneau des chronos en tant qu'alpiniste professionnel, il est fondamental qu'il présente des preuves de ce qu'il réalise. »

« L'objectif de Ueli lorsqu'il attaque une face, c'est d'arriver en haut et d'en revenir vivant, explique Stéphane Benoist. Le reste, tout ce qui préoccupe les gens d'en bas, est totalement secondaire à ses yeux. Pour moi, sa carrière est une progression parfaitement cohérente, après les sprints dans les Alpes, il s'attaque à ceux en haute altitude. Et il n'a pas choisi le Big Wall [ascensions longues en falaise contraignant à des bivouacs dans la paroi] où il est facile de traîner un photographe. Il pratique un alpinisme totalement dépouillé. Il aborde la montagne de manière très professionnelle. Il est parti seul, plus léger que nous, il a bénéficié de meilleures conditions météo et il est tout simplement plus fort. »

Selon Simon Trachsel, entraîneur national de l'équipe suisse de ski de fond et physiothérapeute, qui travaille avec Ueli Steck depuis six ans, ce dernier était extrêmement affûté. « Il était déjà allé deux fois sur l'Annapurna et avait le projet bien en tête », rappelle le coach. En 2007, assommé par une chute de pierre, Steck avait dû renoncer ; puis de nouveau en 2008, avec son compatriote Simon Anthamatten, afin de secourir l'alpiniste espagnol Inaki Ochoa, finalement mort d'un oedème cérébral à plus de 7 000 mètres.

Par ailleurs, Ueli Steck présente cette ascension record de l'Annapurna comme une forme de rebond après sa mésaventure d'avril 2013 au camp II de l'Everest. Accompagné de l'alpiniste italien Simone Moro et du photographe britannique Jonathan Griffith, il avait été mêlé à une violente rixe — aux torts partagés — avec des sherpas furieux. Craignant pour sa vie, il en était revenu sans tenter l'ascension, et très marqué psychologiquement. « Après l'épisode de l'Everest, il lui a fallu extraire l'espèce de cancer qu'il en avait rapporté, explique Jörg Wetzel, psychologue des équipes olympiques suisses et préparateur mental d'Ueli Steck. Même s'il était intact et en forme physiquement, il devait tourner la page, retrouver l'équilibre entre corps et esprit : un domaine de la haute performance où l'alpinisme a vingt ans de retard… »

Ueli Steck, qui admet avoir perdu à cette époque « le sommeil » et sa « confiance en l'être humain », estime pour sa part que la préparation de ce nouveau projet a été la meilleure des thérapies. « Ueli fait partie de ces athlètes auxquels il faut des objectifs intermédiaires, explique M. Trachsel. Il a fallu lui trouver des séances très adaptées comportant du dénivelé. Nous avons, par exemple opté pour le pic Niesen — 1 700 mètres de dénivelé — qu'il montait en courant jusqu'à trois fois par jour pour redescendre avec les touristes par le funiculaire. Puis il a fait l'Ultra-Trail de L'Eiger [50 kilomètres, 3 100 mètres de dénivelé] et d'autres petites courses. Enfin nous avons fait pas mal de fractionné. »

Le photographe américain Dan Patitucci qui l'a accompagné au camp de base de l'Annapurna confirme la grande forme du Suisse au moment de l'ascension. « J'ai vu à quelle vitesse il a entamé la voie, et le timing qu'il donne est parfaitement plausible », dit-il, admettant que la polémique soulevée « engendrera probablement la mise en place de règles que les alpinistes professionnels devront désormais respecter pour voir leurs exploits reconnus ».

Mais à ceux qui reprochent à M. Patitucci une sorte de complicité passive pour n'avoir pas « documenteé » l'ascension de son « ami », ce dernier rétorque : « Depuis plusieurs jours, le vidéaste — qu'avait emmené avec lui Don Bowie et qui disposait d'un long objectif — souffrait de problème respiratoire. Il avait emporté ce matériel avec lui dans sa tente dont il n'est pas sorti la nuit de l'ascension. Mon métier à moi est de photographier des gens, ce que j'ai fait au camp de base et jusqu'au pied de la voie où nous avons accompagné Ueli. Et si j'avais eu le matériel adéquat pour témoigner de sa progression sur la face, je ne m'en serais pas servi cette nuit-là car je n'ai jamais fait de “time-lapse” [accéléré] et je ne sais pas en faire. Par ailleurs, à ce moment-là, j'ignorais comme tout le monde — si Ueli grimpait ou s'était arrêté. Tenji, mon épouse, et moi-même étions dans la même tente et nous nous sommes levés pendant la nuit à tour de rôle, principalement pour vérifier où en était la météo. Je n'ai personnellement pas vu la lampe frontale d'Ueli, et je n'ai jamais demandé à Tenji s'il l'avait vue, car à notre lever au petit jour, Ueli était déjà bien redescendu et ce n'était plus le sujet. Il avait réussi et nous allions rentrer. C'est alors que Don Bowie a branché son téléphone et y a trouvé un SMS émis du téléphone satellite qu'Ueli avait laissé dans le trou où il s'était abrité avant le sommet. Ce message datait de plusieurs heures auparavant et disait qu'il avait réussi le sommet. »

En parcourant la montagne comme on sprinte sur un stade Ueli Steck a gagné, en plus de la méfiance de certains, le surnom de « Swiss Machine » : un sobriquet qui lui déplaît souverainement. « En lisant ça, les gens se font une fausse idée de moi, maugrée-t-il. Or, je suis avant tout un homme et je suis très sensible. » L'homme sait aussi se faire gentleman. Il suffit de feuilleter son livre Speed (éditions Guérin), fraîchement traduit de l'allemand, pour découvrir sa version du romantisme.

Entre récits de ses records en solo au Cervin, à l'Eiger et aux Grandes Jorasses et ses conversations avec Walter Bonatti, Reinhold Messner et Christophe Profit — ses glorieux devanciers sur ces faces —, il raconte qu'il a « offert » pour son anniversaire à son épouse Nicole une nuit de bivouac sur la face nord de l'Eiger, paroi totalement verticale ou déversante. Au menu : pâtes lyophilisées, mousse au chocolat et quart de vin rouge… L'histoire ne précise pas si la dame — honnête alpiniste — a goûté le présent à sa juste valeur. « On ne fait que des ascensions pour le plaisir, assure Ueli. Si Nicole ne le sent pas, on n'y va pas. » Dernièrement, le couple a pris des « vacances ». Après avoir avalé quelques falaises en Espagne, ils devraient s'envoler pour le Pérou afin de taquiner ensemble des sommets de 5 000 à 6 000 mètres, pour qu'Ueli ne devienne pas « accro » au solo.

« Cette spécialité, c'est le plaisir égoïste de tout contrôler et de tout décider, confesse-t-il. Tout est beaucoup plus simple que dans la vie de tous les jours. Tu grimpes, et si tu fais une erreur, tu tombes et tout est fini, et tu en es le seul responsable. Mais le solo, c'est très dangereux, et j'en ai fait beaucoup ces derniers temps. » De son côté, Lindsay Griffin, rédacteur en chef de l'American Alpine Journal — bible de la montagne —, alpiniste chevronnée et membre du comité technique des Piolets d'or, rappelle que 76 ascensions ont été sélectionnées cette année pour ces « Oscars » de la spécialité. « Un jury indépendant de six personnes [voir encadré] en a ensuite retenu cinq dont celle d'Ueli Steck et a décerné une mention spéciale », précise-t-il. Cet épisode de doute devrait cependant inciter les organisateurs à la réflexion. Inclure ou non dans leur charte une clause exigeant des preuves « substantielles » de chaque ascension retenue ? Le débat s'annonce houleux dans le milieu de l'alpinisme, arc-bouté sur sa liberté et rebelle à tout formatage. Le résultat des Piolets d'or est attendu dans la soirée du samedi 29 mars.

Patricia Jolly

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